Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée (2ème épisode)

Deuxième épisode de notre feuilleton présidentiel : Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée. 
Le temps d'une campagne présidentielle, où tout deviendrait enfin possible, prenons-nous à rêver d'un Président qui incarne vraiment le pays. Qui parle aussi bien au nom de la France d'en bas que de la France d'en haut, de l'ouvrier du Creusot que du col blanc de la Défense, de l'éleveur du Massif central que du céréalier de la Beauce, du client du Fouquet's des Champs-Elysées que de celui du bar des sports de Saint-Dizier. A défaut d'exister, Présidentielle 2012 a imaginé à quoi ressemblerait ce Président aux couleurs de la France. Ce personnage de fiction est le héros de notre feuilleton Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée.
       L’odeur de soufre qu’exhale une campagne électorale, tenait lieu, chez Chotard, d'élixir de jouvence. Le costume de candidat le métamorphosait. Son énergie et sa démagogie, ses deux armes fatales, s'en trouvaient décuplées. Dès lors, tout devenait possible, y compris d'endosser les habits de candidat du peuple. Même si, de toute éternité, il incarnait les élites et les nantis.
        L'image de Bellichian dans l'opinion lui avait facilité la tâche. Son port de tête et sa démarche, d’une raideur solennelle. Les traits de son visage, dont l'absence de lèvres et le regard froid et impénétrable, rappelaient, à s'y méprendre, ces portraits d’aristocrates croqués par  Daumier au dix-neuvième siècle. Son verbe et son élocution ensuite, atrocement désuets ; ses formules alambiquées, ses locutions archaïques, qui donnaient à penser que cet homme-là s'était trompé d’époque. Qu'il aurait été plus à sa place dans le salon de Madame Verdurin qu'à une table de négociations avec des chauffeurs-routiers. Sa nature enfin, qui, comme il le reconnaissait bien volontiers, ne l'inclinait pas spontanément à rechercher la compagnie de ses semblables. A le voir, on devinait sans peine que toute spontanéité lui était étrangère. Au point de faire le désespoir de ses conseillers, dont un fût remercié dans l’heure pour lui avoir rappelé qu’il n’y avait pas que les duchesses et les baronnes qui avaient conquis le droit de vote après guerre.
       Le contraste avec Chotard était saisissant. Son contact avec le bon peuple était chaleureux et naturel. Il pouvait serrer des dizaines de main à la chaîne et donner à chacun l'impression qu'il y prenait plaisir, que c'était un brave type qui aimait les gens. Cette proximité paraissait si sincère, qu'au fil des ans, il s'était forgé un capital de sympathie indéniable auprès de la France d’en bas. Il était comme un poisson dans l’eau à siffler un ballon de blanc en compagnie d’éboueurs sur le trottoir parisien, dans les lueurs du petit matin, ou à disserter à l’infini sur les mérites comparés de la Salers et de la Charolaise en compagnies d’éleveurs sur une foire aux bestiaux au fin fond du Cantal. A mille lieux de l’image compassée et autoritaire qu’il donnait de lui dans ses interviews télévisées. Et de cet autre lui-même qui vivait depuis des années dans les palais de la République ou dans ceux de ses amis milliardaires chez qui il se rendait en vacances.
           
          Au-delà de l'image, c'est par le verbe que Chotard avait réussi à renverser la vapeur. N'étant pas aux affaires, il avait beau jeu de tenir Bellichian pour responsable de tout ce qui clochait dans le pays. Et Dieu sait que la liste des périls qui menaçaient la France était longue ! Le chômage, qui se maintenait à des niveaux stratosphériques ; la croissance désespérément en berne ; la désindustrialisation du pays, nécessaire contrepartie d'une mondialisation prétendument heureuse ; l'inflation galopante ; l'injustice sociale symbolisée par des écarts de rémunérations obscènes entre les PDG des grands groupes et leurs salariés, etc.  Sachant qu'il n'avait plus rien à perdre, la démagogie lui tenait lieu désormais de programme électoral. Il promettait à tour de bras : souvent le matin une chose, et l'après-midi son contraire. Dans sa bouche, il n'était pas de déficit que son programme ne puisse combler, d'impôt qu'il ne fût urgent de supprimer, et d'allocation qu'il ne jugeât utile d'augmenter. Le trou de la sécurité sociale ? Le chômage ? Les prélèvements obligatoires exorbitants ? Il se jurait d'en venir à bout sans que cela ne coûte un traître sou à ses compatriotes. Comment ? "En changeant de logique, répétait-il inlassablement." C'est-à-dire, autre leitmotiv, "en dépensant mieux pour dépenser moins". Mais, nulle part dans son programme, on ne trouvait trace de ces dépenses qu'il disait vouloir supprimer...
        Qu'importe ! Chotard, le parangon de la droite bourgeoise, avait réussi à se métamorphoser en Chotard le "sans-culotte". L'amnésie de l'électeur aidant, le sentiment aussi que les sondages lui avaient volé son vote en proclamant depuis longtemps la victoire de Bellichian, firent le reste.
         Chotard en chantre du changement ! La gauche en était abasourdie. Il lui avait volé ses thèmes de campagne avant même que son candidat n'ait été désigné. La lourde part de responsabilité qu'elle avait dans l'état actuel du pays, lui intimait, il est vrai, de ne plus les resservir avec la même fougue. D’ailleurs, elle envisageait sérieusement de remettre son sort présidentiel entre les mains d'un candidat, qui, pour être issu de ses rangs, n'en était pas moins réputé partager nombre des convictions de ceux d'en face.
       Mais cette forte personnalité se faisait sérieusement tirer l'oreille. On murmurait que son âge, déjà fort avancé, en était la cause. Sa femme aussi, à laquelle la perspective de tenir le rôle de première dame de France en train de poser pour Paris-Match,  au bras de son mari, donnait des crises d’urticaire. Enfin, la rancune accumulée pendant toutes ses années, au contact de ses compagnons socialistes, qui ne lui avaient épargné aucune vexation, avait aussi sa part dans ses atermoiements. Ils n'avaient jamais pris de gants pour lui faire comprendre qu'il n'était pas de leur famille. Lui, si attentif aux marques d'estime pour sa personne, ne s'en était jamais vu témoigner aucune en vingt ans de maison. A présent que les sondages le désignaient comme le seul dignitaire socialiste à posséder une chance de sauver l'honneur de la gauche, en lui permettant de franchir le cap du premier tour, il  tenait sa vengeance. Il la savourait même, en prenant un plaisir ostensible à se faire prier par ceux-là même, qui, naguère, le persiflaient sans relâche. Chez Jean Dargent, la rancune avait valeur de vertu.

         Voilà qui facilitait l'OPA contre nature que Chotard tentait sur une partie de ses électeurs.

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