Ségolène Royal met en scène ses ambitions

par Isabelle Mandraud

Ce sera Santiago du Chili, plutôt que Jarnac en Charente. Ségolène Royal a préféré renoncer aux cérémonies consacrées, le 8 janvier, à François Mitterrand, dix ans après sa mort, pour aller soutenir, à la même date, la candidate socialiste Michelle Bachelet au second tour de l'élection présidentielle du Chili. La présidente de la région Poitou-Charentes fera partie de la petite délégation de trois personnes dépêchée par le PS.
"Les Chiliens l'ont demandée", précise Patrick Mennucci, secrétaire national Euro-Méditerranée chargé de ce déplacement. Cela tombe bien : Mme Royal, candidate elle-même à l'élection présidentielle de 2007, cherchait le moyen de provoquer cette rencontre.
D'emblée, elle a accepté les vingt heures de vol en classe économique à l'aller, même chose au retour, pour une journée avec Michelle Bachelet. Fille d'un général de l'aviation victime de la dictature Pinochet, elle-même torturée et exilée, la ministre de la défense chilienne, plutôt bien accueillie par les militaires à sa nomination en 2002, s'est souvenue que la socialiste française était aussi fille d'un militaire de carrière. Deux femmes, socialistes, favorites des sondages, s'épaulant l'une l'autre : l'image est trop tentante pour celle qui sera reçue par le président socialiste sortant, Ricardo Lagos, au palais de la Moneda, et traitée comme une personnalité de premier plan.
L'année 2006 démarre donc plutôt bien. Ségolène Royal, qui plane toujours dans les sondages en tête des candidats du PS potentiels, a fait son entrée — certes à la dernière place — dans le Top 50 des personnalités préférées des Français publié par Le Journal du dimanche du 31 décembre 2005. Une étape de plus pour la compagne du premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande, qui joue sur une popularité toute neuve.
Une autre est prévue avec le lancement, à son retour du Chili, de son site Internet au nom explicite : "Désirs d'avenir". "L'important, c'est l'avenir, il faut bien comprendre qu'on est en train de changer d'époque", juge Ségolène Royal. Rien à voir avec la mode des blogs, "cette bonne parole qui tombe sur le peuple", comme le dit Sophie Bouchet-Petersen, une proche. Le projet se veut interactif, une sorte de grand forum ouvert sur plusieurs thèmes. Convertie à la démocratie participative, Ségolène Royal cherche à reproduire, en l'adaptant à plus grande échelle, une méthode qui lui a permis, en 2004, de souffler la région à la candidate de Jean-Pierre Raffarin. En mars enfin, la candidate promet un livre.
Ségolène Royal n'ignore rien des obstacles, nombreux, qui l'attendent. Sa popularité est un précieux atout, mais il n'est pas suffisant. Après tout, Simone Veil fait elle aussi partie, et depuis bien plus longtemps, du Top 50, sans que cela fasse d'elle une présidentiable. La popularité de Bernard Kouchner est aussi haute, mais elle n'a guère encore jusqu'ici profité électoralement à l'ancien ministre.
Ségolène Royal n'a pas de réseau, encore moins de courant. Elle est soutenue par une équipe de fidèles très réduite qui se compose notamment de Christophe Chantepy, son ancien directeur de cabinet lorsqu'elle était ministre à l'enseignement scolaire, de 1997 à 2000, et de Sophie Bouchet-Petersen, maître de requêtes au Conseil d'Etat, rencontrée au début des années 1980 lorsqu'elles travaillaient toutes deux dans l'équipe de conseillers de François Mitterrand. Il faut ajouter Joëlle Maury, ancienne ouvrière, militante associative active. L'équipe travaille toujours ensemble à la région. Christophe Chantepy présidera l'association Désirs d'avenir, Joëlle Maury en sera la trésorière.
Ségolène Royal, plutôt appréciée des militants, n'est guère aimée par les élus et les cadres du parti. Ils lui reprochent son individualisme, son goût pour se mettre en avant, et sa propension à suivre, coûte que coûte, son ambition. Nul n'a oublié que la députée des Deux-Sèvres s'est affrontée, en 1995, à un autre candidat socialiste, le maire sortant de Niort, lors de l'élection municipale. Beaucoup ont encore en tête sa volonté de briguer, contre Laurent Fabius cette fois, la présidence de l'Assemblée nationale en 1997, alors que tout le monde le lui avait déconseillé.
Autre obstacle, Ségolène Royal, active sur les questions de société, n'est pas familière des grands sujets économiques et sociaux, ce que ses détracteurs n'oublient jamais de souligner. Et si la presse étrangère lui porte désormais un intérêt soutenu, elle n'a aucune expérience internationale. "Elle n'a pas la stature d'un chef d'Etat. Je ne crois pas qu'elle sera vraiment candidate", assénait sans détours, dimanche 1er janvier, Gilles Martinet, ancien cofondateur du PSU et secrétaire national du PS, dans un entretien au Parisien. D'où l'importance que revêt pour Ségolène Royal son voyage au Chili — une initiative qui ravit la vedette aux autres candidats potentiels qui envisagent eux aussi de se déplacer à l'étranger, après une période très tournée sur le parti.
Quant à son site Internet, il est fait justement pour permettre à Ségolène Royal d'aborder des thèmes économiques en s'appuyant sur sa gestion de la région. Il lui faudra convaincre, éliminer les autres candidats. Et obtenir le soutien du premier secrétaire, François Hollande, qu'elle ne ménage pas. Mais est-ce un obstacle ?
Sources : LE MONDE

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